Millicent Weiss

Ce fut un rude coup porté à sa fierté lorsque la petite Millicent réalisa qu'il n'y avait guère de noblesse, de richesses ou de gloire rattachées au nom de Weiss. On lui avait pourtant bien dit et répété le contraire! Qu'à cela ne tienne, la petite fille n'allait pas se laisser ainsi diminuer par quelque chose d'aussi trivial que la réalité; elle pouvait encore "faire comme si".

Et c'est exactement ce qu'elle fit. Si fort et avec tant de conviction qu'elle trompa ses amies, ses ennemis et elle-même. Elle se fit l'effigie du mensonge des Weiss et de leur déni; une petite sorcière à la posture fière et à la hauteur dédaigneuse comme si le monde lui appartenait, comme si son sang lui venait de Merlin en personne, comme si sa maison ne grinçait pas, ses elfes ne vieillissaient pas, ses parents ne se disputaient pas. Comme si on ne l'avait pas déjà présentée à une quinzaine de petits partis pour grappiller chez autrui un brin d'influence, une once de pouvoir, une mornille.
Grandir femme parmi les Weiss, c'était recouvrir de parfum une charogne qui espérait encore pouvoir plaire. C'était un travail ingrat et rabaissant, mais ça n'avait pas besoin d'en avoir l'air.

Poudlard aurait pu tout changer, mais n'en fit rien. Plus que jamais Millicent voulut plaire et se faire la vitrine mensongère de l'escroquerie Weiss et si le combat semblait perdu d'avance, elle ne se laissa pas impressionner pour autant.
Alors elle mentit. Déversa des litres de parfums sur la carcasse de leur réputation. Elle levait fièrement le menton, paradait comme si chaque pierre du château se trouvait là sous ses ordres. De la poudre aux yeux pour faire oublier les scandales du passé. Elle s'enorgueillissait d'être fervente protectrice de la réputation des Weiss, refusant de voir les sourires mesquins et ignorant les messes basses. Elle était de sang pur, par Merlin! La noblesse de la sorcellerie!

Ses fiancailles figèrent sur son visage le sourire satisfait qu'elle y affichait toujours. Elle méritait un prince, on lui donnait un péon. Elle le considéra avec une superbe indifférence. Sa dignité blessée, Millicent noya la maison familiale sous les hiboux tantôt furieux, puis larmoyants, résolue à trouver mieux.
Elle quitta Poudlard avec soulagement, car même Millicent Weiss finissait par fatiguer de faire illusion devant un public si nombreux. Elle exigea, plus qu'elle ne demanda, une maison pour elle-même et obtint un petit appartement confortable au deuxième étage d'une maison tordue du Chemin de Traverse. Oh, elle avait conscience de saigner les finances familiales par ses caprices; il n'en faudrait pas moins pour encourager son père à se démener un peu plus pour lui trouver un parti plus convenable. Millicent visait haut. Le sang pur, la fortune assurée et le visage avenant; rien de moins! Elle serait l'effigie des Weiss, puisque quelqu'un devait bien s'en charger, elle ferait illusion! Elle camouflerait la débandade familiale et noierait les rumeurs dans des fragrances hors de prix. L'égérie Weiss ne pouvait pas s'encombrer d'un fiancé moins que parfait.

Que ses caprices aient fini par payer, ou que la famille ait toujours cherché meilleur parti pour elle, elle obtint gain de cause. Passa d'un bras à un autre dans le temps d'un été et poursuivit son existence frivole et joyeuse en esquivant un autre homme, en se demandant à quoi ressemblerait le suivant.
Le climat tendu des derniers mois ne l'atteint pas. Si elle peut danser sur les débris des Weiss, elle peut le faire sur ceux d'un train de moldus; qui se soucie de ces gens là? On bute plus facilement, cependant, sur des cadavres de sorciers, et le climat de peur qui se construit peu à peu autour d'elle lui fait doucement lever les yeux de son nombril. Même Millicent Weiss peut se surprendre à se questionner, parfois, sur la vacuité de son quotidien et la portée des actions de sorcières et sorciers qui, ailleurs, prennent le risque de vivre...